Une Assemblée du COE est un événement spirituel avant que d’être un rassemblement politique. Elle donne des impulsions à moyen terme, elle met ou remet des sujets à l’ordre du jour des Eglises ou du mouvement œcuménique plus qu’elle ne prend des décisions contraignantes. Comment pourrait-il en être autrement avec une Assemblée de près de 900 délégués avec droit de vote qui ne se réunit que tous les 8 ans, élabore ses documents finaux pendant un week end, les fait adopter au pas de charge et avec une méthode de consensus exigeante ? Toute autre attente face à une telle Assemblée est non seulement irréaliste, mais potentiellement porteuse de tentatives de manipulation populistes.

Ceci dit, l’Assemblée reçoit et reflète très fidèlement les soucis, souffrances et menaces aux-quelles les Eglises et le monde sont exposés ou confrontés très directement. Ces dossiers sont traités dans les documents finaux sous divers angles, élaborés dans les Comités de l’Assemblée : celui du message de l’Assemblée, celui des lignes directrices pour les programmes du COE, les recommandations des « conversations œcuméniques » et celui des affaires publiques essentiellement. Ils dessinent l’agenda du COE pour les prochaines années.

A. Cet agenda ressemble à ceci :

  1. L’urgence de l’action face à la crise climatique a été soulignée à plusieurs reprises, en particulier la nécessité d’une action rapide et radicale, telle que réclamée par la forte délégation de jeunes présents à Karlsruhe. The Living Planet: Seeking a Just and Sustainable Global Community
  1. Le renforcement du rôle de plate-forme du COE pour trouver des alliés (dans la société civile, auprès de partenaires interreligieux ou de nouveaux partenaires œcuméniques) et des solutions à des conflits qui touchent directement les Eglises. The Things That Make for Peace

Ukraine-Russie : la présence d’une délégation d’Ukraine très visible et vocale a souligné la solidarité du COE avec les victimes ; pour autant, on ne peut pas dire qu’un dialogue ait eu lieu entre les délégués ukrainiens et russes ou n’ait été même été possible dans ces circonstances. La responsabilité de la guerre a été clairement exprimée à plusieurs reprises. Le ton relativement modéré du document final a été justifié par le modérateur de cette commission par la priorité mise pour maintenir la porte de la discussion avec l’EOR ouverte. La question de savoir dans quelle mesure l’Eglise orthodoxe russe est complice dans ce conflit ne peut pas être entièrement séparée de celle de savoir dans quelle mesure elle est aussi otage du gouvernement et d’une partie de sa propre tradition. L’Eglise orthodoxe, russe en particulier, a été historiquement presque toujours très soumise à l’autorité temporelle, de gré ou de force. Le fait que de nombreuses Eglises du Sud aient exprimé leur peu de compréhension sur le fait que cette guerre en Europe devrait être traitée autrement qu’une autre guerre doit être entendu. Guerre en Ukraine, paix et justice en Europe

Israël-Palestine, Syrie-Liban, Irak. L’emploi du mot « apartheid » pour décrire la politique israëlienne vis-à-vis des Palestiniens n’a pas obtenu le soutien escompté, et l’Assemblée n’a pu que constater le désaccord profond sur ce sujet. Mais le COE va poursuivre son observation attentive de la situation et son soutien aux Eglises locales. Mais cette déclaration met aussi l’accent sur les autres pays de la région et la nécessité d’une approche et d’un apaisement de toute la région pour trouver une solution durable au drame palestinien. En quête de justice et de paix pour toutes et tous au Moyen-Orient

La poursuite du dialogue et de la formation théologique en vue de l’unité avec l’Eglise catholique et l’élargissement de ce dialogue à d’autres acteurs confessionnels (World Evangelical Alliance, World Pentecostal Fellowship…) ou des plate-formes (Global Christian Forum, Religions for peace…), devenus des partenaires à part entière pour agir ensemble.

  1. le travail de fond contre le racisme, les discriminations, le non-respect des droits humains : Statement on confronting racism and xenophobia, overcoming discrimination, ensuring belonging (PIC 01.05 rev)
  2. le suivi de crises, conflits ou sujets oubliés ou en danger de l’être : Haut-Karabach, les peuples indigènes, la séparation des deux Corées, la Papouasie occidentale, le génocide contre les Syriaques. (PIC 01.06-01.10)

Voilà pour l’essentiel de l’agenda « macro-politique ». Pour mettre cela en place, l’Assemblée a élu un nouveau Comité central de 150 personnes, dont environ 2/3 sont nouvelles. Celui-ci a élu dans sa première session le bureau, qui guidera le travail du nouveau Secrétaire Général, Jerry Pillay et de l’équipe des directeurs de Départements, passablement renouvelée pendant cette année suite des fins de contrat ou des départs à la retraite. Ce bureau est composé de Heinrich Bedford Strohm, Modérateur (Président jusqu’en 2021 du Conseil de l’Eglise protestante en Allemagne EKD), et des deux Vice-Modérateurs : Merlyn Hyde Riley (Secrétaire générale de l’Union Baptiste de Jamaïque et ancienne étudiante de Bossey), et l’Archevêque Vicken Aykazian, de l’Eglise apostolique arménienne aux USA (jusqu’ici Modérateur du Comité des finances du Comité Central).

B : Mais il s’agissait aussi de faire l’état interne des lieux des Eglises, de leur témoignage à l’Evangile et de leur foi dans ce contexte. Et là aussi, des choses fortes ont été dites à l’intention du nouveau Comité Central. Cela a été synthétisé au mieux dans le « message de l’Assemblée ». J’en retiendrais trois :

  1. « Un message de résilience et d’action ». Tels ont été les mots de la modératrice sortante, Dr. Agnès Abuom. Cette mention de la résilience me parait caractéristique de l’assemblée de Karlsruhe par rapport à d’autres. Résilience, non seulement à cause du COVID-19, des gros défis auxquels il a confronté les Eglises et le COE lui-même. Cela a infligé une lourde incertitude et exigé une capacité de réaction et d’improvisation jusqu’à la dernière minute à l’organisation. Mais aussi parce que l’incertitude, la peine, voire la souffrance caractérisent aussi le travail même du COE et des Eglises dans bien des domaines :
  • l’aggravation de la crise climatique,
  • la guerre en Ukraine, ou le conflit Israëlo-palestinien, y compris leurs défis pour l’unité et l’identité du COE,
  • l’accroissement des situations de crise dans les Eglises et sur la planète,
  • la modestie des résultats effectifs dans le rapprochement dogmatique, ecclésiologique ou éthique,
  • l’accroissement des partenaires de dialogue et de collaboration stratégique sans possibilité d’accroître proportionnellement les ressources,
  • la fragilité vécue et avouée des progrès réussis par les Eglises et le COE dans plusieurs domaines,
  • la faiblesse, la vulnérabilité du témoignage chrétien et de sa capacité à changer les grandes choses du monde.

Tout ceci, et bien d’autres choses encore ont été en filigrane de l’Assemblée, ont créé une ambiance recueillie et sobre et ont renforcé l’appel à l’action. Le message de l’Eglise au monde est d’abord celui d’une humilité assumée et d’un appel au changement des consciences.

  1. Un appel à agir ensemble maintenant : « l’amour du Christ nous presse. » (2 Co 5,14).

Le titre du message de l’Assemblée capte bien l’urgence exprimée si passionnément par les jeunes (mais pas seulement), aussi bien sur l’urgence climatique que sur la progression de l’œcuménisme ou la place accordée aux voix des jeunes et des femmes, quitte à casser les codes de procédure bien rodés. L’assemblée ne pouvait pas ne pas entendre ce message. Ce cri est porté non seulement par l’urgence, mais aussi et surtout par l’espoir et la confiance en un Dieu qui n’abandonnera pas son Eglise ni sa création. L’espoir exprimé a surpassé le cri. L’éthique chrétienne comme une culture alternative à celles du monde et des puissants a été réaffirmée avec force.

Le passage central du message de l’Assemblée le dit ainsi :

En nous réunissant en Allemagne, nous avons appris le coût de la guerre et la possibilité de la réconciliation ; En entendant la parole de Dieu ensemble, nous reconnaissons notre vocation commune ; En nous écoutant et en nous parlant les unes les autres, nous nous rapprochons; En nous lamentant ensemble, nous nous ouvrons aux douleurs et aux souffrances des autres; En travaillant ensemble, nous acceptons l’action commune; En célébrant ensemble, nous nous réjouissons de nos joies et de nos espérances respectives ; En priant ensemble, nous découvrons la richesse de nos traditions et la douleur de nos divisions. A Call to Act Together

  1. « La justice, c’est ce à quoi ressemble l’amour dans la sphère publique », a affirmé la Co-modératrice de la Commission Foi et Constitution, Susan Durber1. La déclaration sur l’unité explicite la formule souvent entendue pendant l’Assemblée de « l’œcuménisme du cœur » :

“It is Christlike love that moves us to walk honestly and wholeheartedly beside one another, to try to see the world through the eyes of others and to have compassion for one another, to build the trust that is such a vital part of our ecumenical journey. It is love that will reject any distorted kind of unity that overcomes, overpowers, or coerces the other, and neither will it settle for a weak type of encounter that is merely formal. This love goes beyond every level of restriction and restraint; it is not abstract, sentimental, soft, or romantic, but is embodied and whole, witnessed in the visible and the practical, in the passionate and the truly challenging, able to address the deepest evil and injustice. We have learned from one another that love which in private is tenderness in public is justice.” Unity Statement

Ce principe espère que l’amour comme catégorie herméneutique doit devenir prédominant sur les conceptualités théoriques et parfois trop académiques des accords formels et des règlements juridiques. Cela aussi a traversé toute l’assemblée. Ce principe se veut la boussole et l’énergie inépuisable qui poussera les Eglises à réinventer l’unité et la réconciliation.

Conclusion

Chaque participante, chaque observateur, face à une telle profusion et intensité de conviction et de réflexions ne peut que se demander si tous ces documents auront un avenir et surtout pourront changer la face du monde. Un collègue allemand a fait sur ce sujet un commentaire tout à fait pertinent sur Facebook auquel nous pouvons adhérer entièrement :

Nein, die Texte, die die ÖRK-Vollversammlung heute schlussendlich verabschiedet hat, sind weder so eindeutig noch so einmütig, wie sich das viele erhofft oder es sogar lautstark gefordert hatten. Ist die Vollversammlung also eine Enttäuschung? Für mich, der ich zum ersten (und vermutlich auch zum letzten) Mal an einem solchen globalen Mega-Event teilgenommen habe, absolut nicht. Nachdem ich erleben konnte, wie verschieden die Menschen sind, die hier beisammen waren, wie unendlich vielfältig die Kontexte und Prägungen von Menschen aus Fiji, Serbien, Ägypten, Südafrika, Sumatra, Chile, Kanada, Finnland, den Salomonen (wo sind die eigentlich?), Indien, Nigeria und ja, auch Deutschland wundert es mich, dass man überhaupt etwas gemeinsam zu sagen hat. Und das liegt daran, dass diese Menschen sich alle einig sind, dass Jesus Christus und sein Geist bis heute gegenwärtig wirksam sind und die sie bezeugende Bibel bleibend relevant ist (mit welcher Hermeneutik auch immer!). Dass die einen sich darin z.B. in ihrem Patriotismus bestärkt fühlen und andere in ihrem Feminismus, mutet von außen irrsinnig und beliebig an, ist es aber nicht, weil genau darüber hier offen diskutiert wird. Trotz aller eklatanten Gegensätze gibt es eine gemeinsame Referenz und letztlich auch eine gemeinsame Geschichte. Das hält diese globale Gemeinschaft noch im Streit zusammen – und nicht eine zentralistische und autoritäre Struktur wie die katholische Weltkirche. Ich finde, darüber kann man nur staunen. Nirgendwo wird dieses Wunder so erlebbar wie in den gemeinsamen Gebeten, wenn die Liturgie von jahrtausendealten koptischen Antiphonen nahtlos übergeht zu Samba-Rhythmen, von kunstvollen Gesängen in Mandarin zu pfingstlichem Lobpreis oder Chorälen der deutschen Tradition. Ein Herr, ein Glaube, eine Taufe – das steht und wird bejaht, auch wenn man sich an den Kopf fassen muss, was andere daraus machen. Oder muss man sich an die eigene Nase fassen? Nicht ausgeschlossen!

Wichtiger als alle Texte sind die persönlichen Begegnungen mit den fernen Nächsten, die ein solches Mega-Event rechtfertigen. Im Idealfall konstituiert sich in diesen Begegnungen eine globale Zivilgesellschaft, die zumindest von den meisten ihrer Mitglieder nicht exklusiv verstanden wird, sondern als eine integrative Kraft zum Wohl aller Menschen. Ich bin überzeugt davon, dass die Vernetzung und Bewusstseinsbildung, die bei einer solchen Vollversammlung stattfindet, konkrete politische und soziale Folgen für die Entwicklung in vielen Ländern der Welt hat. Es wäre ein schlimmer Fehler, angesichts der zurückgehenden Prägekraft des Christentums in den Ländern Mitteleuropas zu übersehen, dass Kirchen weltweit über eine kollektive «Basisanbindung» verfügen, die sonst keine staatliche oder nichtstaatliche Organisation erreicht. Die menschlichen Multiplikatoren, die heute in 120 Länder der Erde, in Städte, Dörfer und Kirchen zurückreisen, werden mit Sicherheit mehr bewirken als die Verlautbarungen, die gelesen oder auch nicht gelesen werden. Die meisten sind auf bewundernswerte Weise entschlossen, sich im Namen Jesu für Gerechtigkeit und Frieden einzusetzen – und zwar für alle Menschen gleichermaßen.

1 Il s’agit d’une citation du théologien et philosophe afro-américain Cornel West, qui se trouvait dans la première version du document, tout comme celle de l’évêque chinois K.H. Ting « La justice de Dieu est aussi l’amour de Dieu. Si l’amour se répand dans toute l’humanité, il devient la justice ».

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