Une personne assise sur ses valises est sur le point de partir. C’est un départ, soit vers des vacances bien méritées, soit vers l’inconnu et l’incertitude. Les uns veulent un changement d’air, les autres sont contraints de quitter leur patrie. La valise, signe d’un séjour de durée limitée, caractérise autant le voyageur que le réfugié. Dans le cas le plus favorable, la destination est la promesse de détente d’un lieu de villégiature, dans l’autre la diaspora ou l’exil en terre étrangère. Dans les pays de destination, le regard porté sur ces deux catégories de voyageurs est très différent : les touristes sont vus comme des ressources économiques bienvenues, car ils paient pour leurs exigences. Les réfugiés au contraire ne sont pas bien perçus, parce qu’ils perturbent l’ordre habituel des choses et que leurs exigences coûtent. Pour les indigènes, les uns sont tout aussi étrangers que les autres. Mais les uns repartent après peu de temps et sont invités à revenir bientôt, alors que les autres restent généralement trop longtemps. Et s’ils finissent par s’en aller, personne ne souhaite les revoir. Les touristes ont le monde à leurs pieds. Pour un réfugié, le monde est un parcours jalonné d’obstacles et de dangers.

Par allusion à l’épopée homérique, nous appelons odyssée une telle errance incessante et humiliante en pays étranger. Mais la figure d’Ulysse, le guerrier grec qui a quitté son foyer pour le retrouver au terme d’un long voyage aux multiples dangers, n’offre pas une analogie probante avec la vie de réfugié dans notre monde moderne. Car Ulysse a quitté sa patrie pour faire route vers une destination précise, et a prévu dès le début son retour. Les réfugiés actuels font plutôt penser à Abraham, qui a quitté son pays sur ordre de Dieu. Comme lui, les réfugiés pressentent qu’ils ne rentreront jamais. Abraham l’indigène est devenu Abraham l’errant, avec pour seule patrie la promesse divine d’une patrie.

Défendre son bien contre autrui, ici et maintenant, c’est miser sur la mauvaise patrie. Et refuser l’hospitalité à autrui, ici et maintenant, c’est risquer la véritable patrie, la patrie promise. De tels propos semblent à première vue hors de toute réalité. Pourtant, le prophète Jérémie montre qu’il n’en est rien. Il invite les réfugiés à défaire leurs valises et à les ranger. Les gens doivent s’établir là où leur fuite les a fait échouer. Plus encore, ils doivent se soucier du bien de leur nouvel environnement, parce qu’eux-mêmes en profitent. Le prophète de l’Ancien Testament ne renverse pas seulement nos théologies, mais aussi nos politiques d’intégration. Nous réservons habituellement aux indigènes la tâche de veiller au bien de la ville, tandis que la politique à l’égard des réfugiés devient un geste de charité et de générosité qui n’attend rien de l’autre, sinon qu’il s’adapte autant que possible. Les réfugiés sont chez nous constamment confrontés à des exigences qui sont l’expression de notre méfiance, qui fixent des limites aussi étroites que décourageantes, et rendent les personnes concernées incapables de mouvement et d’action.

Au lieu d’une telle politique de répression, le prophète mise sur une politique d’intégration : le bien de la ville est la tâche de tous, et surtout l’affaire des réfugiés. Cela paraît absurde ! Jérémie confie précisément aux étrangers la responsabilité du bien de la ville. Il les y oblige parce qu’il leur fait confiance et connaît leurs capacités. Ce sont les réfugiés qu’il charge d’assumer la tâche essentielle du bien commun. C’est cela, la politique d’intégration de la Bible !

Gottfried Wilhelm Locher, président du Conseil
Fédération des Églises protestantes de Suisse

Mgr Charles Morerod, président de la
Conférence des évêques suisses

Évêque Harald Rein
Église catholique-chrétienne de la Suisse

Herbert Winter, président de la
Fédération suisse des communautés israélites